Extension du domaine de la surveillance

Bonjour, vous !

Merci de vous être abonné-e à cette infolettre. En voici donc la première édition et je vous assure que j'aurais préféré entamer cette diffusion par des sujets plus enthousiasmants. Malheureusement, l'actualité ne laisse pas beaucoup de place à la fantaisie en ce moment...

Je n'ai pas encore eu suffisamment de temps à consacrer au site. Le rythme est soutenu et j'essaie de déconnecter quand l'occasion se présente, même si ce n'est pas toujours simple... Un sentiment qu'il vous arrive peut-être de ressentir aussi.

Bref, pour cette première, je vais vous parler des ambitions contrariées du Conseil fédéral qui aurait bien aimé étendre ses prérogatives pour mieux surveiller nos communications. Reste à savoir s'il tiendra vraiment compte de ce signal.

Ah oui, les Suisses voteront cet automne normalement sur le projet d'identité électronique de la Confédération. Les référendaires ont récolté suffisamment de signatures, a indiqué ce mercredi la Chancellerie fédérale. J'aurai l'occasion d'aborder le sujet prochainement, parce qu'il y a plein d'aspects intéressants à examiner.

Du côté des recommandations, je vous invite à découvrir Les algorithmes contre la société de mon collègue français Hubert Guillaud. Son infolettre Dans les algorithmes mérite aussi le coup d'oeil.

Si comme moi, vous êtes amatrice ou amateur de jeux vidéo, je vous présente aussi Clair Obscur: Expedition 33. Je viens de le terminer (quand je vous parlais de déconnexion...) et c'est un véritable chef d'oeuvre. Bonne lecture !

L'éditorial

Le Conseil fédéral a réussi le tour de force improbable de s'aliéner entreprises, partis politiques et organisations de la société civile, qui tous font front pour les libertés numériques.

La cause de cette improbable alliance? Son projet de réviser partiellement deux ordonnances qui définissent la manière dont il applique la loi sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication adoptée en 2017. Derrière cette appellation lénifiante se cache l'arsenal législatif qui permet aux autorisés de contraindre les fournisseurs de services à leur livrer des informations sur les utilisateurs. Et surtout, pour les opérateurs de télécommunication, à accès à leurs installations aux fins limiers de l'administration fédérale pour qu'ils puissent y déposer leurs mouchards.

La loi votée en 2017 avait déjà suscité pas mal de débats. Le Service Surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (Service SCPT) avait tenté de placer des fournisseurs de services comme Proton et Threema dans la catégorie des opérateurs de télécommunication. Threema, qui propose une messagerie chiffrée de bout en bout similaire à Signal, avait porté l'affaire devant le Tribunal fédéral. Ce dernier lui avait donné raison dans un arrêt qui fait jurisprudence quant à la manière d'apprécier les différents types de fournisseurs.

Bon, à Berne, cette décision ne faisait pas l'affaire du Service SCPT, qui ne voit pas d'un très bon oeil ces applications qui permettent de protéger l'intégrité numérique de leurs utilisateurs. La loi leur permettrait d'ailleurs déjà d'imposer des obligations étendues à Proton et Threema. Mais ils ont renoncé à faire usage de cet instrument. Ils affirment qu'il s'agit en fait d'un simple souci d'économie de procédure puisque la révision des ordonnances a commencé en 2021 déjà. En gros, si le Service SCPT avait choisi de recourir à cette possibilité, des entreprises auraient potentiellement dû remplir des obligations plus étendues qu'elles ne devront le faire après la réforme.

C'est probablement juste pour certaines d'entre elles. Mais c'est sûrement aussi parce que c'était politiquement délicat de revenir à la charge contre Proton et Threema après une telle décision du Tribunal fédéral. Bref, quoi qu'il arrive, Berne entend continuer la lutte contre ce type de fournisseurs de services. Si la réforme n'aboutit pas - et je vois mal comment le Conseil fédéral compte persévérer vu la volée de bois vert qu'il a pris à l'issue de la consultation -, il est probable que le Service SCPT tente d'imposer à certains fournisseurs de communication dérivés comme Proton et Threema des contraintes plus importantes.

L'affaire finira sûrement devant les tribunaux. Peut-être que le Conseil fédéral reviendra avec une proposition plus modérée. Mais la tentation de tout intercepter exerce une attraction hypnotique sur les autorités de poursuite pénale. Elles ont la conviction que cette vaste quantité de données ne demande qu'à être utilisée. Le problème, c'est qu'il faut accepter de rendre les communications de toute la population vulnérable pour cibler une infime minorité de contrevenants.

On ne voit pas très bien où cette trajectoire peut nous mener, sinon à abandonner tout espoir de préserver nos libertés individuelles dans un monde toujours plus informatisé. Et ça, bah ce n'est pas très réjouissant.

Mes recommandations

Côté livre:
J'adore le travail de Hubert Guillaud. Si vous ne connaissez pas ce journaliste français, je ne peux que vous recommander le découvrir à travers son dernier ouvrage Les algorithmes contre la société (Ed. La Fabrique, avril 2025). Je suis toujours épaté par son érudition. Il réalise une veille de grande qualité sur les enjeux algorithmiques. Dans son nouvel essai, il décortique les effets de ces technologies sur nos vies, et en particulier sur celles des plus démunis. Hubert Guillaud montre comment ces technologies imparfaites contribuent à maintenir les plus vulnérables dans la précarité.

La démonstration de ce livre est limpide: les calculs sont toujours plus sophistiqués, et pourtant les résultats ne sont pas forcément meilleurs. En revanche, cette sophistication a pour effet de rendre ces systèmes opaques, nous privant aussi de toute capacité de contestation. Comment s'opposer à un résultat s'il n'est pas possible d'évaluer le calcul qui l'a produit? De plus, les concepteurs de ces dispositifs les mettent sur le marché sans devoir démontrer leur efficacité, et sans tenir compte ensuite des retours des usagers. Hubert Guillaud plaide donc pour la création de mécanismes similaires à ce qui existe au sein de l'industrie pharmaceutique. S'il pense que des systèmes algorithmiques plus bénéfiques pour la société peuvent être créés, le journaliste ne sombre pas pour autant dans le technolosolutionnisme. C'est pourquoi il nous recommande de modérer nos attentes à l'égard de ces dispositifs.
Côté jeu vidéo:
Je pense pouvoir dire que Clair Obscur: Expedition 33 est une formidable synthèse de ce que je recherche dans un jeu vidéo. C'est une expérience dépaysante, enivrante, qui provoque des émotions et stimule l'imagination. Sur le plan artistique, c'est une véritable claque. Le scénario est bien écrit, les musiques donnent corps à cet univers original, les bruitages s'intègrent parfaitement dans le système de combat et les personnages sont attachants. Le titre développé par le studio français indépendant Sandfall Interactive est un véritable chef d’œuvre. Difficile d'imaginer qu'il y a derrière une petite équipe d'une trentaine de personnes seulement. Les collègues du média indépendant Origami ont consacré à ce jeu d'exception une chouette émission si jamais vous voulez en savoir plus, et en images.

En soi, Clair Obscur: Expedition 33 n'est pas une révolution. Il s'agit d'un RPG au tour par tour à l'ancienne, dont le système de combat a été dynamisé en imposant aux joueurs de parer ou d'esquiver les attaques des adversaires. Pas possible donc de rentrer une action et de poser la manette comme dans les anciens Final Fantasy dont le titre de Sandfall Interactive s'inspire clairement. Ce petit twist suffit à créer une tension supplémentaire durant les affrontements, et c'est déjà pas mal. J'ai pris mon temps et il m'a fallu environ 28 heures pour venir à bout de la trame narrative. Il reste néanmoins encore pas mal de contenu à explorer. En voyant le générique de fin, j'ai ressenti cette émotion particulière qui vous saisit lorsque vous refermez un roman qui vous a captivé. Vous savez, cette impression qu'il va désormais vous manquer quelque chose.

Le jeu est disponible sur Xbox Series, PS 5 et PC. Si vous l'essayez, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions!

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Grégoire Barbey
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