Facebook, Amazon, Netflix… quand le Conseil fédéral renonce à sa souveraineté pour ménager les susceptibilités de Donald Trump

La Suisse ne va pas réglementer les plateformes numériques pour l’instant. Le Conseil fédéral a décidé de suspendre pour une durée indéterminée ses travaux en la matière. S’il n’a pas motivé ce choix surprenant, il semble évident qu’il a voulu ainsi ménager les susceptibilités américaines dans une période particulièrement tendue. Il faut dire que la Suisse est plutôt malmenée par les autorités américaines. Fin 2024, l’administration Biden a sorti le pays de la liste des Etats alliés qui peuvent importer des microprocesseurs de pointe sans restriction. Et début avril 2025, c’est le président Donald Trump qui a enfoncé le clou en menaçant la Suisse d’imposer des droits de douane de 31% sur ses marchandises.

De quoi provoquer la stupeur auprès des autorités helvétiques, lesquelles se sont toujours montrées plutôt avenantes envers leur partenaire américain. C’est un arbitrage délicat, et il est difficile d’affirmer ici que le Conseil fédéral fait tout faux en agissant ainsi. Je regrette malgré tout que l’imprévisibilité du président des Etats-Unis conduise le gouvernement suisse à modifier son agenda en matière de politique intérieure de peur d’en payer le prix. Car c’est bien de ça dont il est question: la Suisse est un pays souverain, doté de ses propres institutions politiques. 

Un long processus législatif

En l’occurrence, le Conseil fédéral devait déposer un projet de loi pour réglementer les plateformes numériques. Une démarche qui accuse déjà plus d’une année de retard sur le calendrier initial. C’est un dossier compliqué, car il existe une grande variété de plateformes numériques, chacune possédant ses propres enjeux, à la fois politiques et économiques. Entre les réseaux sociaux comme X et Facebook, les places de marché façon Amazon et Temu, les applications types Uber et Airbnb, les services tels Netflix et Spotify ou encore les systèmes d’exploitation façon Windows, Android et iOS, la notion de plateformes regroupe un ensemble assez hétéroclite de modèles d’affaires. Je peux donc comprendre qu’il ne soit pas simple d’aboutir à un résultat compte tenu de la tradition législative suisse, qui inclut notamment le principe de la neutralité technologique.

Mais le dépôt d’un projet de loi n’est qu’une étape dans le long processus vers l’adoption d’un nouveau cadre réglementaire. Le Conseil fédéral aurait pu clarifier ses intentions à travers le message qui accompagne une telle démarche législative. Et le débat, pour l’instant timide, aurait pu se faire à l’échelle du pays sur ce qu’il convient de faire, ou de ne pas faire, pour limiter les effets pervers de ces nouveaux conglomérats numériques. Ainsi, nous ne savons toujours pas si le gouvernement veut se doter d’une réglementation spécifique à la manière de l’Union européenne, ou s’il veut effectuer des modifications ciblées de lois existantes. 

C’est dommageable, car ce processus allait nécessiter encore de longs mois, voire plusieurs années avant d’aboutir. Cette réglementation préoccupe beaucoup d’organisations de la société civile sous l’angle de la protection de la démocratie, à juste titre. Mais le débat autour des plateformes numériques ne se limite pas aux réseaux sociaux. Elles ont aussi de nombreux effets sur le plan économique. Et l’absence de cadre clair en la matière n’est pas de nature à favoriser l’innovation. 

Des plateformes toutes-puissantes

Les opérateurs de ces plateformes bénéficient en effet d’avantages concurrentiels extraordinairement puissants. Entre les effets de réseaux, qui favorisent les acteurs déjà dominants, la récolte de données qui leur permet d’en savoir plus sur leur secteur et donc de s’adapter très rapidement au marché, les mécanismes de verrouillage pour limiter la concurrence et l’exploitation d’algorithmes opaques pour encadrer les échanges au sein de leur écosystèmes, ces plateformes ont considérablement modifié le visage de l’économie mondiale.

En refusant d’en faire une priorité, le Conseil fédéral passe à côté d’un enjeu majeur de notre époque. Qu’un pays doté d’une tradition libérale ne se préoccupe pas d’une concentration toujours plus importante dans de nombreux secteurs économiques a de quoi surprendre. La manière dont ces plateformes numériques s’arrogent de plus en plus de marché est largement documentée. 

Que la Suisse renonce, même provisoirement, à exercer sa souveraineté pour ne pas s’aliéner un partenaire qui se montre toujours plus autoritaire ne va probablement pas l’aider à asseoir sa propre crédibilité. Et surtout, le Conseil fédéral prend le risque de perdre la main sur cet enjeu en donnant à des organisations civiles exaspérées par ces atermoiements l’opportunité de lancer une initiative qui sera probablement moins nuancée que les travaux de l’administration fédérale. Un bel autogoal, donc. 

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