
La numérisation divise. La Suisse en fait le constat amer ce dimanche 28 septembre 2025. La population a accepté à une courte majorité (50,4%) une loi permettant la création d’une identité électronique émise par la Confédération. Ce résultat particulièrement serré a surpris beaucoup d’observateurs. Les milieux politiques et économiques étaient quasi unanimement en faveur du projet. Cet étonnement souligne à quel point la numérisation reste encore peu politisée en Suisse. Pourtant, c’est une évidence: le progrès technique n’est pas vécu de la même manière par toute la population. Et c’est peu dire.
Tout au long de la campagne, les promoteurs de cette identité électronique ont entonné le refrain de l’inévitabilité. S’opposer à l’e-ID, c’est aller à contre-courant de la marche du monde. C’est vouloir s’éclairer encore à la bougie. Bref, c’est faire preuve de conservatisme. Nos vies sont toujours plus numérisées, ont-ils rappelé, il est donc logique d’adopter pareil instrument qui ne serait qu’une simplification de la bonne vieille (mais poussiéreuse) carte d’identité physique.
Une numérisation heureuse, vraiment?
Si le numérique n’était qu’un facteur de progrès pour tous, un tel projet aurait dû remporter l’adhésion d’une large partie de la population. Avec, évidemment, quelques oppositions ici ou là, parce qu’ainsi va la vie en société. Mais quand même. Nous ne parlons pas ici d’une minorité bruyante. Nous parlons d’une minorité qui, à quelque 21’000 voix près, pèse autant que la majorité victorieuse du jour.
Le discours dominant présente toujours la numérisation sous l’angle de la simplification administrative, les gains de productivité, le confort. Les techniques numériques sont utiles à bien des égards et nul ne le nie. Pour autant, elles ne sont pas vécues et adoptées par tout le monde de la même manière. Certains en profitent plus que d’autres. Et ce point essentiel est bien souvent absent des débats au sujet de cette fameuse transformation numérique.
Beaucoup de gens se sentent déclassés. La numérisation va aussi de pair avec la perte de certaines interactions humaines, peu à peu sacrifiées sur l’autel de l’efficacité. Certaines personnes éprouvent une forme d’aliénation, une obligation de vivre avec un smartphone au bout de la main, tout en ressentant en parallèle une pression sociale et économique forte. Le numérique c’est aussi la mesure de tout, tout le temps.
Et puis, le numérique, ce n’est pas si simple d’accès. Il faut de l’argent pour bénéficier d’un bon matériel. Il faut vivre au bon endroit pour avoir une connexion solide. Et il faut des compétences pour pouvoir s’en servir convenablement. Autant de facteurs qui font que la numérisation heureuse est un leurre.
Combler un vide
La Suisse semble observer aujourd’hui un vide dans son offre politique. Il manque un discours technocritique capable de cimenter ces différentes préoccupations dans une approche cohérente et constructive. Il ne s’agit pas de refuser pour refuser, mais de poser les questions qui fâchent. De rappeler à ceux qui ont tous les leviers pour bénéficier des progrès techniques sans en éprouver les aspérités que nos sociétés restent fortement inégalitaires. Et que la numérisation ne règle pas ce problème – voire le renforce parfois.
Les Suisses ne sont pas plus réfractaires à la technologie que d’autres populations. Ils ont juste la chance de vivre dans un système qui leur permet d’exprimer leurs inquiétudes dans les urnes. Malheureusement, les partis politiques restent largement déconnectés de leur base sur ces sujets si essentiels.
J’espère que cette votation permettra de faire naître un mouvement plus structuré pour que ces débats puissent prendre corps de façon plus efficace, aussi au sein des institutions suisses.
Très juste analyse.
Il est aussi temps de laisser plus l’espace à la société civile pour s’exprimer et se créer son chemin dans la compréhension profonde de ce qui est Désirable et ce qui est Acceptable