Quelques réflexions sur la suite à donner à l’e-ID

La loi qui règle l’émission d’une identité électronique par la Confédération a été acceptée par 50,4% des voix le dimanche 28 septembre 2025. C’est une courte majorité, mais c’est une majorité quand même. Pourtant, les référendaires ont déjà annoncé leur intention de contester le résultat. Ceux-ci exigent de revoter, estimant que les dés ont été pipés. Parmi leurs arguments, ils mentionnent le don de 30’000 francs effectué par l’opérateur Swisscom en faveur des défenseurs du projet. Ce montant aurait influencé la campagne et fait pencher la balance en faveur du oui.

Alors oui, sur le fond, l’implication de Swisscom n’est pas de bon aloi. En tant qu’entreprise détenue par la Confédération, l’opérateur n’aurait probablement pas dû s’engager financièrement. Il y a là un conflit d’intérêt manifeste. Mais de là à annuler un scrutin, il y a un pas qu’à titre personnel je ne franchirai pas. Je le dis ici: ce combat est vain et ne mènera nulle part. Les référendaires, pour la plupart d’ailleurs issus de groupuscules contestataires qui se sont illustrés durant la pandémie, vont ainsi contribuer à dévaloriser le message qu’un tel résultat envoie aux autorités. C’est regrettable.

Se concentrer sur la suite

Je suis pour ma part convaincu qu’il faut accepter la défaite et se consacrer à la suite du programme. Le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur l’ordonnance qui définit la manière dont il entend appliquer la loi. C’est sur cet aspect qu’il faut peser. La forte opposition doit être prise en considération par les autorités. Les velléités de déployer cette e-ID pour des cas de figure comme la collecte de signatures en ligne ou le vote électronique doivent être abandonnées.

Les partenaires sociaux doivent se mettre d’accord pour une application minimale de la loi. Les promesses de campagne doivent être respectées. Je fais partie de ceux qui ont refusé le projet parce que je trouvais le texte rédigé de manière à permettre, au fur et à mesure, de nouvelles interprétations qui ouvriraient la voie à des utilisations supplémentaires. Le Conseil fédéral et l’alliance en faveur de cette identité électronique ont garanti qu’il n’en serait pas question. Il faut désormais les prendre au mot et leur demander des gages. Cela se joue maintenant, à travers cette consultation.

Il faut également revenir avec des exigences sur la transparence du code. Ce n’est pas acceptable qu’un projet de cette envergure contienne des exceptions sur ce point. Même si 99,9% du code est public, il y aura toujours quelques éléments qui ne le seront pas. C’est un problème pour la confiance dans cette infrastructure. Dans un précédent texte, j’ai parlé de fédérer les forces technocritiques qui sont encore à l’état gazeux en Suisse. J’aimerais ici clarifier ce que j’entends par là. 

Précisions sur l’approche technocritique

Pour moi, la technocritique ne doit pas être comprise comme une forme de refus systématique des évolutions techniques. Ce n’est pas une posture de contestation, mais de réflexion et d’action politique. De nombreux auteurs, bien plus intelligents et érudits que je ne le suis, ont pensé ces questions. Leurs travaux sont précieux et tous ne partagent pas le même point de vue. Signe qu’il y a toujours eu, et ça ne changera pas, des controverses autour de la manière de penser la technique y compris en lui injectant une approche critique.

Nous vivons une époque traversée par de nombreux bouleversements, à l’intersection de nombreuses crises dont, la plus existentielle, celle qui menace de rendre l’environnement pratiquement invivable pour une grande partie de notre espèce et des animaux non humains. La technique s’insère dans ce contexte et doit être pensée en tenant compte de ces enjeux. Elle n’apparaît pas magiquement, elle est aussi le fruit d’une organisation sociale, d’une structuration de l’économie, etc.

J’entends souvent, dans les débats qui portent sur la numérisation, des gens présenter ces mouvements comme inévitables. Je n’ai jamais cru dans le déterminisme de la technique. Les technologies influencent les êtres humains autant que ceux-ci les influencent en retour. Ce sont des relations complexes, qui ne se satisfont pas d’explications réductrices. Les courants les plus enthousiastes tentent de rationaliser la technologie à l’excès, écartant toutes les questions sociales et politiques qu’elle embarque pourtant avec elle. Seule sa dimension pratique, productive, efficace devrait être considérée. 

A l’inverse, la posture du rejet n’est pas plus pertinente. Il faut sans cesse débattre de la façon de garantir une gouvernance démocratique des technologies. Bref, je pense qu’il y a un chemin pour des approches constructives. Celles-ci doivent être alimentées par des opinions variées, par des expériences aussi, et surtout par des travaux académiques pluridisciplinaires qui permettent, pour autant que cela soit possible, d’objectiver certains faits. 

Je pense donc que le résultat de l’e-ID est une bonne occasion pour nourrir toutes ces réflexions, et pour tenter de montrer qu’on peut aborder la question avec scepticisme sans pour autant vouloir en revenir à l’âge de pierre. Si les élites suisses ne saisissent pas cette occasion pour prendre conscience des enjeux, la question se reposera prochainement à nouveau quand les circonstances le permettront.

À QUI PROFITE LE CODE?

La numérisation à marche forcée de nos sociétés cache des enjeux de pouvoir. Tentons de les dévoiler ensemble.

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